Se confronter à la réalité du monde, sortir de l'atelier et demander de l'aide

Chapitre 3 | 3min

Je n’ai pas cette capacité qu’ont les stylistes à porter un regard sur un ensemble qui intègre chaque objet. Moi c’est le contraire. Quand je regarde un fauteuil, il s’extrait de son milieu. Je l’isole et le décompose pour y voir une suite de matériaux et de procédés qui forment des pièces. Celles-ci ont des propriétés et composent des assemblages pour répondre à des fonctions.

 

En janvier 2021, Maërl est un dessin au stylo, un garage transformé en atelier amateur, et l’ambition de fabriquer nos fauteuils sans compromis sur la qualité, ou la provenance des matériaux.
L’histoire de Maërl, les rencontres et les difficultés ont vraiment commencé quand du dessin de principe nous devions sortir un fauteuil pliant commercialisable. Quelques coups de crayons, sur une toile encore vierge.

Dès le début, le parti pris de Maërl est d’intégrer un bureau d'études pour prototyper rapidement et pouvoir nous adresser directement aux sous traitants des grandes industries françaises, dont beaucoup sont installés en Loire-Atlantique, chez nous. 

Même si la production de mobilier ces dernières décennies a quitté peu à peu la France pour l'Italie, l'Europe de l’est ou l'Asie, la France est encore championne sur des secteurs comme l’énergie, l’automobile, l’aéronautique, le naval… Leurs sous-traitants travaillent les métaux mieux que personne. S’allier à eux c’est s’offrir le luxe de la proximité et participer à notre échelle à reconstruire la filière française mobilier.

S’adresser aux industriels signifie aussi apprendre leur langue, celles des normes ISO et des mises en plan techniques. Concevoir un fauteuil comme on conçoit une éolienne ou un moteur. Pièce par pièce, où tout est coté et optimisé pour la production. A tel point qu’encore aujourd’hui je n’ai pas de plan complet du fauteuil fini, puisque je n’ai travaillé que sur des pièces détachées. 



Je n’ai pas grandi avec cette capacité qu’ont les stylistes à porter un regard sur un ensemble qui intègre chaque objet. Moi c’est le contraire. Quand je regarde un objet, il s’extrait de son milieu, je l’isole et le décompose pour y voir une suite de matériaux et de procédés qui forment des pièces. Celles-ci ont des propriétés et composent des assemblages pour répondre à des fonctions. Je crois que si j’avais été architecte, j’aurais dessiné des hôpitaux…

Avec du recul, je me demande si je n’ai pas fait ce choix par vanité d’ingénieur. Peut-être aussi pour être rassuré, et travailler avec des gens du même milieu que moi. Ce pari nous a ouvert des portes inattendues, mais après des mois de déconvenues et de doutes !

En mai 2021, après 4 mois de développement, nous avions 11 générations de prototypes et de maquettes 3D. Des nuits passées à calculer la position du moindre trou et le diamètre de toutes les vis. Mais personne pour nous aider à produire.

Usine visitée pour maërl


Arrive un moment où tant-pis si le fauteuil n’est pas parfait. La priorité doit être de trouver un chaudronnier-usineur avec qui développer le piètement. Commence alors le tour des usines de France. De mai à juillet 2021, j’en ai contacté plus de 200, visité une quarantaine.
Toutes les visites se ressemblent. Stephan et moi découvrons les sous-traitants de l’industrie de l’intérieur : tous sont spécialisés sur des niches, l’un fait des bouteilles de gaz, l’autre des garde-corps de yacht, le troisième des pièces de sous-marin… Tous nous disent qu’ils peuvent faire, mais personne ne donne suite.

Juin est marqué par une profonde désillusion. Après des dizaines de visites, et de versions de plans adaptées à chaque outillage, le premier devis arrive en octobre. 

DEvis trop cher reçu pour Maërl


10 314€ d’acier par fauteuil est un coup de massue… Clairement, le gamin dans son garage que je suis n’y arrivera pas tout seul. Et puis j’avais ce réflexe où je compense chaque refus par un avancement technique. Les itérations dessin et prototype nous ont permis d’avancer sur le développement produit, mais il devenait de plus en plus difficile de convaincre un industriel de nous rejoindre.

Nous avons finalement obtenu 4 chiffrages : de 500€ à 70 000€ pour fabriquer un fauteuil. Cet écart était pour nous une bonne nouvelle, il voulait dire qu'il y avait de la marge de discussion.

De toutes ces visites, j’ai retenu que souvent ces PME ont été créées par des entrepreneurs de l’ombre. Ils n’ont pas la côte médiatique, ils ne parlent pas de leur personne, ils préservent et développent des savoir-faire et créent des centaines d’emplois. J'aimerais leur ressembler. Reste à trouver celui qui voudra bien nous aider.


12 Avril 2023. Martin Rolland

dans Journal

Le vivant est le plus efficace des designers et une source d’inspiration inépuisable
Chapitre 2 | 3min