Quand bien même j’aurais été capable d’apprendre à tout faire, chaque responsabilité supplémentaire m’éloigne un peu plus de la réalité des gens. Quand je ne savais plus dire quel était mon métier, c'est que j'allais dans le mur.
À peine né Maërl s’enfonce, les barrières à franchir s’accumulent, Stephan et moi nous sentions petits face à l’ampleur de la tâche à accomplir : Finir la conception, trouver des partenaires, prototyper, mettre tout le monde autour d’une table pour optimiser le fauteuil puis l’industrialiser. L’été est arrivé, les entreprises que nous contactions cherchaient à boucler leur carnet de commandes avant le mois d’août. Difficile de trouver une oreille attentive.
Puis tout s’est débloqué d’un seul coup. Une bouteille lancée à la mer quelques semaines plus tôt reçoit une réponse le 6 octobre 2021. Jérôme Soulet, directeur et fondateur d’un groupement industriel nommé 1000 Solutions me contacte personnellement : « Bonjour Martin, je suis enchanté de faire votre connaissance. Vous portez un beau projet, ambitieux et dans l’air du temps plus que jamais. Bravo ! […] Le made in France ne doit pas être source de dépenses supplémentaires, juste un gage de qualité et de fidélité industrielle.[…] Je serai à Ancenis le matin du 14 Octobre. »
Un appel d’air frais ! 8 jours plus tard me voilà dans le train en route pour rencontrer Jérôme. Nous avons discuté 1h autour d’un café de centre ville ; de made in France, de savoir-faire industriel, d’entreprenariat, de sa volonté d’accéder à un nouveau marché et de ma volonté de créer une filière de mobilier design. Au bout de 10 minutes c’était clair, pas besoin de chiffrage, de contrat ni de confidentialité. Jérôme et moi parlions le même langage et Maërl existera grâce à lui. Aujourd’hui, comme tous les jours je le remercie de son soutien !
Cette rencontre nous a remis le pied à l’étrier. À ce moment-là je ne le savais pas encore, mais octobre a été le début de l’aventure à plusieurs. Je retiens de l’histoire que toutes les belles rencontres se sont produites de façon étonnante !
Aussi volontaire et travailleur que j'aurais pu être, jamais je n'aurais su gérer ce genre de projet seul. Quand bien même j’aurais été capable d’apprendre à tout faire, chaque responsabilité supplémentaire m’éloigne un peu plus de la réalité des gens. Quand je ne savais plus dire quel était mon métier, c'est toujours que j'allais dans le mur.
Je reçois quelques temps plus tard un message d’une cousine styliste qui me dit avoir vu un beau cuir sur un salon, une tannerie des Vosges qui fait des cuirs naturels magnifiques pour l’ameublement. La tannerie a été reprise par ses salariés, une super histoire qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.
Quelques jours à peine après ce message me voilà dans le train direction Remiremont pour rencontrer Alexandre et Jacques, de la Tannerie Sovos. À peine arrivé, ils me font entrer dans une pièce pleine de milliers de recettes et d’échantillons de cuirs de tous les grains et toutes les couleurs: "Voilà ce qu’on sait faire" disent-ils. Des décennies de savoir faire artisanal patiemment archivées par client, année et projet. Le genre de trésors humblement construits, petit bout par petit bout par des centaines d’artisans : « à condition d’y passer le temps qu’il faut, on peut faire toutes les couleurs. »
La plus incroyable des rencontres est celle de Gabriel Boudot, notre bourrelier-harnacheur. Errant dans une boutique de mobilier design à Guérande je raconte au vendeur que je développe un fauteuil et cherche un sellier. Celui-ci me répond: « C’est dommage il y en a un qui vient de passer faire une livraison, et est parti dix minutes plus tôt ». À cet instant même il revient, Gabriel rentre de nouveau dans la boutique, il a oublié ses clés! Les présentations faites, Gabriel, le directeur du magasin et moi-même nous retrouvons sur le parking de la zone commerciale avec un prototype en feutrine que je transportais par hasard. Nous discutons du type de coutures envisageables: « Vous savez faire ça? Bah oui c’est mon métier! Et ça vous intéresse ? J'attends de voir si ton cuir est beau. Ne t’en fais pas pour ça… »
L’équipe était alors au complet. Tous partagent l‘envie d’essayer et de m’aider. Maërl n’aurait jamais vu le jour sans l’aide de ses fournisseurs. Tous sont des entrepreneurs dans des styles différents : Jérôme le gestionnaire de génie et bosseur incroyable, Jaques et Alexandre sur un modèle coopératif pour sauvegarder le patrimoine vivant, et Gabriel l’artisan indépendant et passionné qui souhaite faire perdurer son savoir-faire rare et exceptionnel.
25 Avril 2023 - Martin Rolland