Le vivant est le plus efficace des designers et une source d’inspiration inépuisable

Chapitre 2 | 3min

« Le fauteuil est un concept basique. La priorité est de s’assoir pas d’innover. Alors soyons modeste, regardons ce qui existe, ne chassons pas la licorne et mettons notre créativité au service des gens »

 

Le lendemain de ma rencontre avec Stephan, je me suis senti minuscule. Me voilà de retour dans mon garage ; j’avais besoin d’être dans un environnement rassurant. Le problème des grandes ambitions, c’est qu’elles doivent être portées. Je savais bien que dans quelques années je regarderais en arrière et rirais de cette angoisse du jour 1, mais là, j’étais en train de la vivre. L’histoire a plutôt commencé le jour trois ou quatre…

Les objectifs du projet étaient déjà posés et les contraintes aussi. À partir de maintenant il n’est question que d’agir. Peu importe la complexité et le sujet, pour résoudre un problème la méthode est toujours la même. Déjà bien le définir. Ensuite le diviser en plusieurs petits problèmes compréhensibles et enfin identifier ce que je peux faire et là où j’ai besoin d’aide. Mon job est de trouver comment plier un fauteuil, et que ça n’ait pas l’air un objet technique.

Nous avions une conviction profonde : partir de ce qui existe. Après tout un fauteuil est un concept tellement simple que ça me paraît utopiste de chercher à le réinventer. Notre objectif créatif n’est pas de chasser la licorne, mais de mettre notre créativité au service des usagers. Nous produirons un fauteuil, pliant, beau et le plus respectueux possible de ce qui nous entoure. 

Martin qui essaye de s'assoir sur un fauteuil qui ne tient pas

Alors nous avons fait un inventaire de tous les objets, végétaux, et animaux qui nous ressemblent, nous verrons plus tard ce qu’ils nous inspirent. Les premiers coups de crayon étaient difficiles. Car quand les idées sont arrivées, chaque trait était une frustration : « non, ce n’était pas ça que j’avais en tête »…

Pendant deux mois j’ai exploré trois ou quatre pistes de pliage différentes : un fauteuil qui s’enroule, un qui se rétracte comme un parapluie, un qui gonfle… Chaque piste est une itération entre dessins et maquettes. elles avaient toutes un point commun, d'être inspirées d’une créature marine : le spirographe, l’anémone, le diodon… J’ai une fascination pour la mer, ce qui s’y trouve, et sa richesse ignorée et un dégout épidermique pour les plastiques qui s’y trouvent.

La dynamique de création était pour moi quelque chose de vraiment nouveau. Jamais je n’ai eu besoin d’avoir des idées. Je vivais, travaillais et parfois la nuit j’avais des idées. Il suffisait de les noter et de vivre. De temps en temps, quand le besoin de distraction se fait sentir, je peux en ressortir, la réaliser dans la vraie vie ou par projection de l’esprit. Mais jusqu’à présent je n’avais jamais eu d’enjeux ou de responsabilités liés à ma créativité. C’est étrange à raconter, mais planter des légumes, avec du recul a été une forme de travail.

Martin Rolland à coté de ses maïs géants en permaculture

Fin décembre 2020, j’avais de nouveau rendez-vous au 8 passage de la bonne graine. Je suis venu avec sept planches. Sept pistes de développement et une petite maquette. Stephan a éclaté de rire quand il a vu que je travaillais sur une table à dessin avec du papier canson A3 180g. La même que quand j’étais étudiant. « ça fait 40 ans que personne n’a travaillé comme ça ! » Mais moi j’avais divisé le sujet en petits problèmes et c’était la meilleure méthode que j’ai trouvé !

J’ai installé mes dessins sur son bureau et dans ma tête il y en avait un qui sortait du lot. Je l’avais colorié, fait une belle aquarelle en perspective et présenté sous plusieurs déclinaisons. Mais à peine les dessins sortis, Stephan de retour de la machine à café me dit : « celui-là il a une petite gueule sympa, je pense qu’on peut en faire quelque chose. » Ce n’était évidemment pas celui sur lequel j’avais concentré mes efforts.

Il n’a fallu que cinq minutes pour nous décider. Nous avions trouvé dans l’océan, quelque chose qui avait plein de liaisons mécaniques, pouvait se refermer de façon compacte et avait une esthétique particulière. Ce quelque chose était un crabe. Une galathée pour être précis. Depuis ce jour notre projet s’appelle Galathée.

La galathée vit dans un écosystème s’appelant le maërl, nous nous appellerons Maërl. Et ce nom est riche de sens. Car le maërl représente l’allégorie d’une beauté immense et locale, symbole d’un développement durable en symbiose avec son environnement. C’est un être vivant qui nous fascine, un des multiples trésors de l’océan. C'est une métaphore de ce que nous voulons être. 

08 Mars 2023 - Martin

dans Journal

L’inspiration à la frontière de la créativité et du savoir-faire
Chapitre 1 | 3min